Il y a peu de textes sur la situation réelle en Grèce qui sortent du pays. Les rares textes qui circulent sont de courts communiqués, des lettres de prisonniers et des déclarations lors de procès. Toutes les analyses portent sur les choix et conséquences socio-économiques, aucune sur les réalités du pays. Les centres sociaux occupés sont implantés en ville, le KKE étant stalinien, on ne sait par exemple rien des paysans grecs qui avaient bloqué pendant plusieurs mois la route entre Athènes et Salonique début 2009. Juste une certaine colère partagée, «quelle différence avec la période de la dictature» ?
Depuis les événements de 2008, les deux gouvernements ont appliqué la défense passive : le fichage généralisé de toute la population (liens et relations, empreintes et maintenant ADN) ; ce qui explique peut-être en partie un certain silence. Les Grecs de l’étranger évitent également de trop se faire remarquer. Il y a une certaine paranoïa. Et les traductions arrivent également bien tard.
Le jeu des médias, c’est de mettre le KKE dans le camp des centres sociaux et des inorganisés (les immigrés qui sont présents en masse dans les rues). Le KKE est encore un parti stal dans sa forme ancienne, bien qu’affaibli, et qui risque l’éclatement comme les PC français et italien dans les années 1970. D’où leurs coups de force récents, et l’intérêt que portent les trotskystes à récupérer ça. En réalité, ce sont les centres sociaux qui font le plus peur aux autorités, bien implantés, surtout au niveau des populations immigrées, ils sont également bien structurés, et beaucoup de gens circulent entre ces lieux. Ils génèrent la plus grosse partie de l’agitation. Lors de la dernière manif, l’occupation de l’École polytechnique a rassemblé une manif de 6000 personnes, le KKE, 10’000. Et ils ne s’octroient pas de pause, il y a un projet d’implantation sur une île ; une base arrière pour soutenir une lutte prolongée dans la perspective d’un blocage total des flux de marchandises.
Après les commémorations de décembre 2009, il y a eu une assemblée importante à Polytechnique (plusieurs milliers de personnes), où il a été décidé de poursuivre dans la lutte politique plutôt que dans le harcèlement des forces policières et la guérilla urbaine. Certainement quelques-uns ont alors choisi des actions plus clandestines, beaucoup sont en cavale. Il y a quelques jours des bombes ont été posées à la prison et au tribunal d’Athènes. En fait, il y a de plus en plus de révoltes de prisonniers (hommes et femmes), on les bourre de drogues pour les calmer, voire pour leur faire cracher des noms.
Après les trois morts, chacun y est allé de son communiqué. Le KKE fidèle à la tradition stalinienne, accuse un complot d’État, ils auraient vu des individus arroser d’essence la banque avant le passage de la manif. De leur côté, de nombreux anarchistes et anti-autoritaires se réapproprient le concept d’ennemi intérieur, de criminels hors du mouvement social. Cela dit, il y a tout de même de forts liens entre la police et des groupes paramilitaires fascistes qui parfois lancent des grenades ou déposent des bombes près des centres sociaux. Après l’événement, il y a eu la première véritable attaque d’envergure contre le quartier d’Exarchia, où des bars associatifs, des occupations, des radios libres ont été saccagés par la police, et de nombreuses personnes arrêtées.
Comme en Italie ou en Espagne, il n’y a pas eu, après la transition de la dictature au parlementarisme, de purge au sein de la police, et il y demeure une tradition fasciste très forte. La situation est différente avec l’armée, car le service militaire est encore en place ; ça en fait une force très instable et dangereuse pour le pouvoir.
Les luttes des orgas se font contre les politiques économiques (le PG avait accroché des drapeaux grecs en dessous du leur, tout en réclamant la retraite à 60 ans au 1er Mai), la lutte des Grecs est elle dirigée contre l’occupation policière (fichage, menaces, racket, corruption et assassinats politiques). Il serait erroné de traduire la colère des manifestants par leur désir d’une autre politique économique, le retour d’un simili-État Providence. La mise sous tutelle de la Grèce par le FMI reste un prétexte. Les derniers reliquats de la social-démocratie viennent de tomber, et ils n’étaient alors qu’un cache-misère auquel plus personne ne croyait. Pour l’heure, des affiches appelant à des auto-réductions massives (grève des loyers, de l’électricité, des transports) apparaissent dans les rues d’Athènes et Salonique. Qu’il s’agisse de prémices similaires à l’insurrection catalane et au mai rampant italien est suffisant pour nous mettre en garde contre les aspirations de représentation de certains, la chasse à l’ennemi intérieur et les «révolutionnaires», à la recherche du nouveau «Gladio», manipulant l’ensemble des révoltes.
Héméra Nyx - L’En-Dehors, 27 mai 2010.
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