Pour le Malien
Une vie = une viepar Pierre Tevanian, 3 décembre
Il n’a pour nous ni nom, ni visage, ni femme ni enfants, ni frères ni sœurs, ni père ni mère, ni ami-e-s en deuil. Les premières dépêches l’ont appelé « un Malien », les suivantes l’ont appelé « le Malien ». Certains journalistes l’ont ensuite appelé, encore plus salement, « le forcené », parce que son « gabarit » – seule information à laquelle nous avons eu droit – était « impressionnant », dixit la sacro-sainte « source policière », et parce qu’avec un marteau il avait « blessé légèrement » quatre policiers qui tentaient, à coups de gaz et de décharges électriques, de le « neutraliser » – c’est comme ça qu’on parle dans la France de 2010.
Le Malien, comme nous devons l’appeler, comme il a été décidé que nous devions l’appeler, est mort le mardi 30 novembre 2010 à l’âge de 38 ans, « à la suite d’une interpellation policière ». Plus précisément, on nous dit que la police cherchait à l’interpeller, au départ, pour une altercation avec un voisin, puis qu’il s’est avéré, circonstance aggravante, être un sans-papiers sous le coup d’un « arrêté de reconduite à la frontière ».
Le « forcené » risquait donc, tout bonnement, l’expulsion forcée – et par conséquent, en voulant à tout prix échapper à la police, et en n’hésitant pas pour cela à blesser légèrement quatre policiers, il n’a eu qu’une réaction parfaitement humaine et compréhensible, que chacun-e d’entre nous aurions pu avoir à sa place.
Cela, personne ne l’a souligné, ni dans les brèves dépêches qui ont « couvert l’événement », ni dans les quelques « réactions politiques » que ledit événement a suscitées. Trois jours ont passé et le débat est clos. Le Malien est aux oubliettes. Tout au plus une partie de la gauche – grosso modo celle qui est à la gauche du Parti socialiste – demande une enquête, voire un moratoire, sur les effets du « taser », dont les décharges de 50000 volts sont peut-être bien pour quelque chose dans la mort brutale d’un homme qu’on nous décrit par ailleurs comme robuste. Fidèles à une longue tradition, les syndicats policiers plaident sans le moindre fondement la « légitime défense » tandis que les plus hautes autorités de l’État – en la personne du ministre Brice Hortefeux – couvrent l’homicide en nous expliquant qu’il n’y avait pas d’alternative, sinon « les armes à feu ».
Quant à la Justice, par la voix du procureur chargé de l’enquête, elle nous dit prudemment qu’aucune « conclusion définitive » ne peut être tirée quant à l’origine du décès, même si l’autopsie tend à privilégier l’hypothèse d’une mort par « asphyxie », liée à l’absorption massive de gaz lacrymogènes et attestée par des traces de sang dans les poumons du défunt.
L’événement ne pose en somme pas d’autre question que celle, purement technique, des modalités les plus adéquates d’une mise à mort : vaut-il mieux gazer, électrocuter ou simplement abattre, à l’ancienne, ces « Maliens forcenés » qui vont jusqu’à « blesser légèrement » des policiers pour échapper à une expulsion ?
La question qui n’est pas posée, même par celles et ceux qui ont raison d’appeler à l’arrêt de l’usage des « tasers », est celle beaucoup plus vaste, profonde et ancienne, de la violence policière, plus précisément du permis de tuer hors légitime défense dont bénéficient de facto les policiers, du permis de tuer une certaine population en tout cas , et des politiques étatiques qui rendent ces homicides non seulement possibles, mais plus que cela : nécessaires [1]. Il est évident en effet que le taser est une invention abjecte, et il est peu douteux, même s’il s’avérait que c’est l’asphyxie qui au final « a entraîné la mort », que l’usage dudit taser n’a rien arrangé, mais ce n’est pas la première fois que la police, avec ou sans armes, tue un sans-papiers, un immigré ou un « jeune de cité », en essayant de le « neutraliser ». Et si ces mises à mort engagent la responsabilité individuelle de chaque agent qui accepte d’honorer à ce prix les missions qu’on lui confie, elles engagent aussi, et il serait bon d’en parler, les ministres qui conçoivent lesdites missions et font, du « chiffre » en général et en particulier de l’« objectif chiffré » de « 25000 reconduites à la frontières par an », un impératif catégorique au regard duquel la vie humaine – ou en tout cas malienne – ne vaut pas grand chose.
Si tel n’était pas le cas, si une vie malienne valait une vie bien française et bien blanche, il serait évident pour tout le monde que, face à un sans-papiers fuyant une expulsion – autrement dit : un homme désarmé ne mettant en danger la vie de personne – l’alternative aux décharges électriques de 50000 volts n’est ni l’arme à feu, ni l’asphyxie par le gaz, ni (comme ce fut le cas pour d’autres « bavures ») l’étranglement. Il serait évident qu’en ces circonstances, des « gardiens de la paix » dignes de ce nom, dans une « démocratie » digne de ce nom, n’ont rien de mieux à faire que de le laisser s’enfuir. Si cet « abandon », cette « abdication », ce « laxisme » vous choque, s’il vous indispose plus que la possibilité – maintes fois actualisée – d’une mort d’homme, c’est bel et bien que la chasse aux sans-papiers est devenue un impératif catégorique, une fin qui justifie tous les moyens, et que cette mort d’homme ne vaut pas d’autres morts d’homme – ou, pour le dire autrement, que cet homme ne vaut pas d’autres hommes, ne vaut pas non plus le chien ou le chat dont la mort nous désole, ne vaut en fait à peu près rien.
Ces mots offensent, je le sais d’expérience. Comme je sais d’expérience, même si j’ai beaucoup de mal à le comprendre, que même à gauche j’offense beaucoup de monde si je conclus qu’il y a un racisme d’État et que ce racisme est meurtrier, et si je précise que la police exécute, que l’État commandite et qu’il y a trois jours, un homme a été tué soit par gazage soit par électrocution, soit les deux. Ces mots tellement « excessifs » et « inacceptables » vont indigner, scandaliser, révolter des gens que n’a pas vraiment indignés, scandalisés, révoltés la mort « du Malien », et qui n’ont pas jugé « inacceptables » les mots « neutraliser », « forcené » ou « légitime défense », et cette hiérarchie des indignations résume à elle seule la barbarie dans laquelle s’enfoncent nos pays « civilisés ».
De cette mise à mort barbare tout juste déplorée le mardi 30 novembre à 20H20 et oubliée dès le lendemain, il importe donc de se souvenir. Il importe de rappeler que ce n’est pas d’un « forcené malien » qu’il s’agit mais d’un homme, qui n’était pas que malien et qui n’était pas du tout « un forcené ». Qu’il n’a pas été « neutralisé » mais tué. Qu’il n’est pas « mort d’asphyxie » mais a été gazé et électrocuté. Que le coupable ne se nomme ni « Pas de chance » ni « Taser » mais Police nationale, Hortefeux, Sarkozy, et surtout « Maîtrise des flux migratoires ». Que sont en cause non seulement « 50000 volts » mais aussi « 25000 reconduites à la frontière ». Que ce n’est pas un « fait divers » mais une affaire d’État.
Il faudra du temps et des luttes pour imposer ces mots, rétablir cette vérité, rendre justice. Dans l’immédiat, que repose en paix le Malien sans nom et sans visage, et à ses parents et ami-e-s sans existence médiatique, toutes nos condoléances.
P.-S.
Dédiée au Malien : La chasse est ouverte, par le MAP.Notes
[1] Une exception : le Communiqué du NPA, qui aborde, au-delà du débat sur « la dangerosité d’une arme », celui de la « politique raciste et xénophobe » qui mobilise ces armes. Des orateurs du Front de Gauche ont aussi mis en cause la politique d’immigration lors du rassemblement qui s’est tenu le mercredi 1er décembre à Colombes, et un communiqué du Parti de Gauche, de la Gauche Unitaire et du Parti Communiste a dénoncé le lendemain « la politique sécuritaire menée par Sarkozy et son gouvernement, politique que nous combattons fermement ».« Le malien » se nommait Mahamadou Maréga. C’est à l’AME (Association Malienne des Expulsés) et à un article du quotidien malien Le Républicain que nous devons cette information [1], dont nous étions privés depuis l’annonce, mardi dernier, de sa mort « suite à une intervention policière ». C’est à cet individu singulier dont nous savons maintenant qu’il se prénommait Mahamadou que rendra hommage un rassemblement le 8 décembre 2010 devant la préfecture de Nanterre. En guise d’appel à ce rassemblement pour la vérité et la justice, nous publions ci-dessous un communiqué du CSP 92 (Collectif des Sans-Papiers des Hauts-de-Seine).
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Archives pour décembre 2010
Une partie de l’exposition consacrée aux réalisations des anarchistes lors de la guerre civile espagnole de 1936, dans le cadre du centenaire de la CNT, section espagnole de l’AIT a donc été exposée 3 jours durant dans le hall de la fac de lettre.
L’expo en son entier sera visible dans les locaux de Peuple et Culture (3, rue Gautier de Biauzat) du 13 au 18 décembre inclus, de 14h à 18h, avec table de presse.
Nous terminerons par une projection du film « Vivre l’Utopie », réalisée après la mort de Franco, le 18 décembre à 20h, dans les locaux de Peuple et Culture, suivie d’un débat animé par un militant de la CNT-AIT 63 et un militant du Groupe Abel Paz de la FA.
Ci dessous, le communiqué de presse. Vive l’anarchie !!
C’est lors de la Révolution espagnole de 1936 que les libertaires touchèrent au plus près l’utopie que des générations de militants et militantes avaient porté au quotidien.
Patiemment, ils avaient crée syndicat après syndicat, fait vivre des athènées culturels où des générations d’ouvriers et de paysans apprirent à lire et à écrire, publié des dizaines de revues, livres, tenté des expériences sociales innovantes.
Le coup d’État militaire de Franco le 18 juillet 1936 accèléra le cours de l’Histoire. Et si une grande partie de l’Espagne tombe rapidement sous la coupe des fascistes, l’autre Espagne résiste. En Aragon, en Catalogne, en Castille, au Pays Basque et dans le Levant les armées franquistes sont mises en déroute par la seule mobilisation de la classe ouvrière, organisée dans sa majorité dans la centrale syndicale libertaire : la CNT.
Une révolution se répand alors changeant en profondeur la structure politique, économique et sociale de ces régions : les paysans collectivisent les terres, les ouvriers contrôlent et autogèrent les usines. Des écoles voient le jour où les préceptes des pédagogies alternatives de Francisco FERRER sont mises en application.
Moins connue et à bien des égards bien diffèrente de la Révolution russe dominée par son aspect autoritaire, la Révolution espagnole de 1936 est éludé par l’historiographie officielle qui résume la guerre d’Espagne à un affrontement binaire Républicains et Fascistes.
A l’occasion du centenaire de la CNT espagnole crée en 1910, la CNT-AIT de Clermont-Ferrand entend rendre hommage à cette Révolution libertaire.
L’EXPOSITION « LA RÉVOLUTION LIBERTAIRE«
Cette exposition est composée d’une trentaine de panneaux thématiques avec un texte explicatif et illustrés d’images et de photos d’époque. Les thèmes abordés sont entre autres ceux : des miliciens qui combattirent les troupes de Franco sur les différents fronts, le rôle des femmes dans la révolution, les collectivisations agraires en Aragon et les fondements d’une société ignorant l’argent et l’individualisme, les pratiques d’autogestion dans les usines et les quartiers de Barcelone et de Catalogne etc.