Egalement en provenance du Jura Libertaire…
En Tunisie, tirs de lacrymogène contre des manifestants
La police anti-émeute tunisienne a tiré mercredi des grenades de gaz lacrymogène sur des manifestants qui tentaient de forcer un barrage bloquant un accès à l’esplanade où se situent les bureaux du Premier ministre, a constaté une journaliste de l’AFP.
Ces incidents se sont produits alors que le gouvernement de transition doit annoncer dans la journée un remaniement pour tenter d’apaiser la colère des milliers de manifestants qui protestent chaque jour à Tunis contre la présence en son sein de nombreux caciques de l’ancien régime Ben Ali.
Les policiers ont tiré des grenades de lacrymogènes contre un groupe de manifestants qui avaient arraché à mains nues un premier barrage de fils de fer barbelés et leur jetaient des pierres, afin de les repousser.
De plus en plus nombreux, des jeunes ont alors bombardé de projectiles les policiers, qui ripostaient avec des gaz, sans affrontement direct. L’armée, qui s’était interposée la veille lors de heurts entre policiers et manifestants, restait passive.
«Il faut nettoyer les restes de l’ancien gouvernement»
Les forces de l’ordre avaient installé dans la matinée des barrages bloquant l’accès à l’esplanade de la Kasbah où, pour la troisième nuit consécutive, des centaines de personnes, dont de nombreux jeunes venus des régions contestataires et déshéritées du centre du pays, ont dormi sous les fenêtres des bureaux du Premier ministre Mohammed Ghannouchi, bravant le couvre-feu.
«À bas le gouvernement !», scandaient dès 9 heures ces manifestants, qui ont promis de rester sur place jusqu’à la chute du gouvernement.
«Nous avons une seule demande : que le gouvernement tombe, ils doivent tous partir, Ghannouchi le premier», a déclaré à l’AFP Bassem El Barouni, un jeune Tunisien ayant dormi sur place.
«Il faut nettoyer les restes de l’ancien gouvernement. Ce gouvernement est celui du 7 novembre», date du coup d’État qui avait porté au pouvoir le président déchu Zine El Abidine Ben Ali en 1987, a estimé Hamid El Ghribi.
La fermeture des principaux accès à la Kasbah par les forces de sécurité, qui ont gêné le ravitaillement en couvertures et nourriture des manifestants, suscite la colère.
«Vous voulez nous affamer, vous voulez nous assiéger», a lancé aux forces de l’ordre Hamid El Gribi, un Tunisien venu de Sfax, à 270 km au sud de Tunis. «Vous nous enfermez comme des singes», se plaignait un jeune homme.
Leur presse (Libération), 26 janvier 2011.
Onze mille prisonniers se sont évadés depuis la chute du président Ben Ali et 2460 autres ont été libérés, a annoncé mercredi 26 janvier le ministre de la justice tunisien.
«Le nombre de prisonniers décédés au cours des récents événements est de 71», a annoncé le ministre de la Justice, Lazhar Karoui Chebbi, au cours d’une conférence de presse. «Parmi eux, 48 sont morts dans l’incendie de la prison de Monastir», à 160 km au sud de Tunis, a précisé le ministre.
En Tunisie, «des détenus dans un état de terreur»
Malgré l’amnistie générale adoptée jeudi, les prisonniers politiques n’ont pas quitté des cellules de plus en plus dangereuses depuis la révolution du jasmin.
D’une main fébrile, Otmane Saïdi sort des photocopies d’une housse d’ordinateur convertie en porte-documents. Le certificat médical de son fils Rami, attestant qu’en 2007 il souffrait de troubles psychiques et était sous traitement médical. Ses bulletins de notes à l’université de Sousse. Depuis cinq jours il ne sait plus vers qui se tourner pour obtenir de l’aide. «On nous a dit qu’il y avait eu des libérations… Voilà cinq jours que je suis à Tunis, et toujours rien», raconte le vieil homme. Quelques heures avant il a rendu visite à Rami, âgé de 27 ans. Toujours derrière les barreaux, à la prison de Mornaguia, près de Tunis. En 2009, il a été condamné à quatre ans de prison ferme au titre de la loi antiterroriste. La famille a fait appel. Depuis, les audiences ont sans cesse été repoussées. Qu’a-t-il fait ? «Rien ! assure son père. Il n’est pas politisé, les islamistes ça ne l’a jamais intéressé.»
Samir ben Amor, avocat, connaît bien ce type de cas. Secrétaire général de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), il est l’un des rares à avoir défendu les dossiers de terrorisme pendant les années Ben Ali. Il estime aujourd’hui à plus de 3000 le nombre de détenus condamnés au titre de cette loi du 10 décembre 2003 — adoptée lors de la Journée mondiale des droits de l’homme, et intitulée «Contribution de la Tunisie à l’effort international contre le terrorisme». «C’était une façon de se garantir le soutien occidental après le 11 Septembre.» Dans les faits, la loi permet de poursuivre n’importe qui sur une simple présomption, sans preuve matérielle. Pour Ben Amor, il ne fait pas de doute que ces «islamistes» sont des prisonniers politiques, au même titre que ceux d’opinion.
islamistes. Comme beaucoup, Otmane Saïdi espérait donc retrouver son fils libre, samedi, suite à l’adoption d’une loi d’amnistie générale deux jours plus tôt, par le tout jeune gouvernement de transition tunisien. Le texte, qui doit encore passer devant le Parlement, concerne officiellement tous les prisonniers politiques, islamistes compris. «Le mouvement Ennahda [parti islamiste interdit, ndlr] sera concerné par l’amnistie générale», avait confirmé jeudi le ministre de l’Enseignement supérieur, Ahmed Brahim. Vendredi, le Premier ministre de transition, Mohamed Ghannouchi, a aussi promis d’abroger les textes antidémocratiques comme la loi antiterroriste. Sur le terrain, les promesses sont plus lentes à se réaliser. «Jusqu’à maintenant, aucun membre d’Ennahda ni aucune personne arrêtée en vertu de la loi antiterroriste n’a été libéré», affirme Abdelkarim Harouni, membre d’Ennahda et vice-président de Liberté et équité, une association de protection des droits de l’homme. Une information confirmée par le représentant de Human Rights Watch, Eric Goldstein qui parle d’une dizaine de libérations, essentiellement des détenus en préventive. «Si ce gouvernement se veut crédible, il faut libérer ces prisonniers d’opinion tout de suite et leur accorder des droits civils et politiques pour qu’ils puissent redevenir des citoyens à part entière», poursuit Harouni, lui-même privé de passeport du fait de son appartenance à Ennahda. Fondé en 1981 par des intellectuels inspirés par les Frères musulmans égyptiens, Ennahda («renaissance») a été d’abord toléré, avant de se voir interdit, ses militants pourchassés et emprisonnés, après avoir enregistré un score de 17% aux élections générales de 1989.
meurtres. «Dans les prisons, la situation est très dangereuse, de plus en plus de morts nous sont signalés par les familles», affirme Abdelkarim Harouni qui cite des cas de meurtres par balles dans les prisons de Bizerte, de Tunis et de Sousse. Hedia Daraji confirme. La dernière fois qu’elle a obtenu un court droit de visite pour voir son fils à la prison de Borj al-Roumi, près de Bizerte, «il était derrière une vitre mais le téléphone pour se parler était cassé. On n’a pu échanger que par gestes». Quand elle lui a demandé si des prisonniers avaient été tués ces derniers jours, il a montré trois fois ses deux paumes ouvertes : trente. «C’est grave, renchérit Me Samir Dilou, président de l’AISPP. À l’heure où nous parlons, il se passe des choses terribles dans les prisons. Plus de prisonniers sont morts derrière les barreaux qu’il n’y a eu de morts durant toute la révolution. Des détenus sont abattus comme des chiens, d’autres sont laissés sans nourriture. Les prisonniers vivent dans un état de terreur.»
Selon les décomptes de l’AISPP, 100 à 150 prisonniers sont morts. Une quarantaine ont perdu la vie dans l’incendie du centre de détention de Monastir (au sud-est de Tunis), d’autres ont été victimes des tirs des gardiens, morts par étouffement dû aux gaz lacrymogènes ou de manque de soins, à Sfax, Sousse ou Bizerte. Des informations impossibles à confirmer de source indépendante.
Leur presse (Léa-Lisa Westerhoff, Christophe Ayad,
Libération), 24 janvier.
Tunisie : la grève générale débute à Sfax
La grève générale convoquée à Sfax (sud), la deuxième ville de Tunisie, et sa région, a débuté aujourd’hui avec «le débrayage de milliers de travailleurs de tous les secteurs», a déclaré à l’AFP Amine Cheffi, membre du bureau régional de la centrale syndicale UGTT. Les grévistes ont commencé à se rassembler devant le siège régional de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), pour demander la dissolution du gouvernement de transition dominé par des caciques de l’ancien régime du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, a-t-il ajouté.
«On va également demander pendant la marche la dissolution du RCD (Rasseblement constitutionnel démocratique de l’ancien président Ben Ali, ndlr) et dénoncer l’information officielle qui s’attaque à l’UGTT» a indiqué M. Cheffi. La section régionale de l’UGTT avait appelé mardi dans un communiqué à une grève générale mercredi dans la province de Sfax pour «soutenir les revendications du peuple», qui demande la démission du gouvernement de transition et la dissolution du RCD.
L’union de Sfax, importante métropole économique et bastion historique du syndicalisme tunisien, a toutefois demandé d’assurer un «service minimum» dans les secteurs essentiels (eau, électricité, hôpitaux…). La puissante centrale syndicale tunisienne, a joué un rôle important dans l’organisation des manifestations de la «Révolution du jasmin» qui ont abouti à la chute du régime autoritaire du président Zine El Abidine Ben Ali, qui a fui le 14 janvier en Arabie saoudite. Elle pèse aujourd’hui fortement dans le mouvement de protestation qui réclame le départ des membres de l’équipe de Ben Ali qui occupent les postes-clés du gouvernement de transition formé après la chute de l’ancien président le 14 janvier.
Leur presse (Agence Faut Payer), 26 janvier.
La centrale syndicale tunisienne UGTT accuse des partisans de Ben Ali d’attaquer ses locaux
La centrale syndicale tunisienne UGTT a accusé mercredi des nostalgiques de l’ancien régime du président déchu Zine El Abidine Ben Ali d’avoir attaqué mardi plusieurs de ses locaux en province, notamment à Gafsa, dans le sud-ouest.
«Des miliciens et des bandes de malfaiteurs liés à l’ancien régime se sont attaqués mardi aux sièges régionaux de Gafsa, Kasserine (ouest) Béjà (nord), Monastir et Mehdia (centre)», a déclaré à l’AFP Iffa Nasr, porte-parole de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT).
Selon lui, les assaillants étaient armés de gourdins, de pierres, d’armes blanches et de chaînes. «Ils ont saccagé les locaux et blessé des syndicalistes à Gafsa», a-t-il affirmé.
Un syndicaliste de cette ville du centre-ouest a indiqué pour sa part que l’armée était intervenue pour dégager le siège régional du syndicat.
«Mardi, des inconnus ont tenté d’attaquer à Gafsa le siège régional de l’UGTT mais l’armée est intervenue pour protéger le bâtiment qu’elle a dégagé en tirant en l’air», a déclaré à l’AFP Ammar Ben Amroussia.
«Des bandes de malfaiteurs composées d’hommes d’affaires liés à l’ancien régime et de cadres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ancien parti au pouvoir) ont attaqué les syndicalistes à l’intérieur du siège régional syndical», a affirmé ce syndicaliste.
Leur presse (Agence Faut Payer), 26 janvier.
L’UGTT ou la cheville ouvrière du changement
En dépit des accusations dont fait l’objet l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), le mouvement syndical a été une véritable locomotive pour la Révolution du jasmin.
En avance sur le bureau exécutif, la base ouvrière, structurée au sein des fédérations de secteurs et des unions territoriales, a fourni toute sa puissance physique au mouvement de la rue. D’ailleurs, la marche imposante du 14 janvier, date de la chute de Ben Ali, a pris naissance au pied du siège de la centrale syndicale, sis place Mohamed Ali. Les marches quotidiennes, qui ont suivi l’annonce de la composante du gouvernement de transition et appelant au départ d’El Ghannouchi et ses collègues issus du RCD, ont été initiées en majorité par le syndicat. L’UGTT, qui a été chargée de trois portefeuilles ministériels, s’est retirée tout de suite après l’annonce de la liste du gouvernement, refusant de composer avec les anciens du régime.
Ceci dit, la base a joué un rôle décisif en faisant pression sur la direction pour se retirer du gouvernement «phagocyté» et refuser tout compromis sur le dos de la Révolution. C’était le cas aussi avant le 14 janvier. Les émeutes endémiques provoquées par l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid et les revendications sociales qui ont marqué les mots d’ordre des manifestants ont tout de suite attiré l’adhésion des travailleurs.
Partout, les sections syndicales commençaient à apporter leur soutien aux manifestants et à rejoindre le mouvement sans s’encombrer de l’aval de la direction. Comme Tunis avait été la dernière ville à se soulever, la direction du syndicat avait rejoint en dernier la volonté de la base.
D’ailleurs, jusqu’au 13 janvier, le secrétaire général croyait encore aux promesses de réforme faites par Ben Ali. À l’issue de sa rencontre avec le président déchu, ce même jour, Abdeslem Jrad avait déclaré : «J’ai eu l’honneur de rencontrer le chef de l’État et ce fut une occasion pour un très important entretien, au cours duquel nous avons abordé la situation douloureuse dans certaines régions du pays, ainsi que des idées et des propositions de l’UGTT. J’ai trouvé auprès du président de la République une vision profonde des principaux problèmes et de leurs causes et une volonté de les résoudre.»
Affirmant, au nom des travailleurs, la satisfaction de l’organisation des promesses du président, Jrad a ajouté en conclusion : «J’ai trouvé auprès du chef de l’État toute la considération pour les travailleurs et pour leur organisation ainsi que toute l’attention à cette catégorie et aux personnes nécessiteuses.» Bien entendu, la base militante, traversée par toutes les tendances politiques avec une franche domination de la gauche, n’a nullement fait cas de ces déclarations et a imposé ses propres choix au syndicat. Cette pression a inscrit l’UGTT dans la frange la plus radicale de la société qui revendique le changement et forme un sérieux avertissement pour le capital tunisien, seul maître dans la gestion économique du pays.
Abdeslem Jrad dans le collimateur de la révolution
Le secrétaire général de l’UGTT n’est plus en odeur de sainteté auprès des manifestants.
Le secrétaire général de la centrale syndicale, leader du mouvement tunisien, semble perdre la sympathie des manifestants sous l’effet d’une forte opinion qui remet en cause le radicalisme du syndicat, ses tenants et ses aboutissants. Il est vrai que Abdeslem Jrad, connu pour sa proximité du palais de Carthage, a été pendant des semaines à la tête d’un syndicat inscrit aux premières lignes du front révolutionnaire.
Mais son passé semble le rattraper, à en croire le débat, enclenché depuis deux jours et relayé par les internautes, sur ses véritables intentions qui seraient liées à une tentative d’empêcher toute velléité d’enquête sur les personnalités en liaison avec l’ancien régime. Le SG traîne des casseroles pour avoir été impliqué dans des affaires de pots-de-vin, notamment avec la compagnie Tunisair ou encore la société Cossob de Sfax. Il est surtout critiqué pour avoir été l’homme sur lequel s’appuyait Ben Ali pour absorber la colère populaire.
Leur presse (Nouri Nesrouche,
El Watan), 26 janvier.