Cet article est tiré du site du syndicat CNT-AITde Toulouse (link) où vous trouverez les informations complémentaires pour soutenir la lutte des salarié(e) de Nataïs.
Solidarité avec les travailleurs attaqués en diffamation par les dirigeants de Nataïs parce qu’ils s’expriment sur leurs conditions de travail!
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Liberté d’expression pour les travailleurs du pop-corn !
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Stop aux licenciements chez Nataïs !
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Dans les journaux, dans les publicités… Nataïs est une entreprise humaniste. Une entreprise qui défend des valeurs… Parlons-en ! Nataïs, ce sont des conditions de travail harassantes, mais Nataïs, c’est surtout la précarité : plus de 350 précaires s’y sont succédés en 2010, presqu’autant en 2011, sur la trentaine de postes de la production !
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Manifestement, pour Nataïs, |
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Natais « le géant du pop-corn »
Procès de deux ouvrières
« Les entreprises doivent promouvoir et respecter les droits de l’homme »
Entreprise Nataïs, « Communication sur le progrès 2010 », reprenant le « Pacte mondial des nations unies » auquel adhère Nataïs depuis 2008
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789, article 11
Au premier jour, il y eut une grève… c’était en février 2011. La seule, l’unique grève dans la longue histoire de cette entreprise. Nous l’avons analysée en son temps [1]. Nous avons rapporté comment une minorité de salariés (à peine une moitié des ouvriers de la production, eux-mêmes minoritaires par rapport aux cadres et autres salariés) pouvaient mettre à genoux en moins de quatre jours un patron intransigeant, l’obliger à accepter des revendications. Nous avons expliqué « le pourquoi » de ce « comment » : la marginalisation des syndicats, l’assemblée générale souveraine des grévistes, le renouvellement quotidien de la « délégation »… et le courage des grévistes face à la pression patronale, policière et aux moyens disproportionnés déployés par l’État.
Et puis, les licenciements ont commencé. Les ouvriers ont résisté [2]. Ils ont ouvert un forum, pour pouvoir s’exprimer un peu plus librement que dans l’entreprise. Un forum où ils ont pu échanger, comme on le fait sur tous les chats. Avec le genre de propos qu’on tient dans ce genre de lieu… Mais, même ça, pour si peu que ce soit, c’est trop pour Nataïs. Trois salariés sont maintenant poursuivis pour insultes raciales, diffamation et autres. Nous avions titré la dernière fois : « Nataïs, le feuilleton ne fait que commencer ». Voici donc le nouvel épisode. Et ce n’est pas le dernier.
A ce stade, nous voudrions souligner combien certains, qui se gargarisent de « droits de l’homme », de « citoyen » et autres « communications de progrès », réagissent face à des commentaires qu’on nous permettra de trouver extrêmement modérés et de la plus grande banalité. Voici donc les faits. Que chacun en juge.
Le 24 mai 2012, deux ouvrières grévistes [3] comparaîtront devant le Tribunal de Grande Instance d’Auch, poursuivies par l’entreprise Nataïs en tant que telle et, personnellement, par trois de ses dirigeants (à savoir : le sieur Michael Ehmann, le sieur Jérôme Réthoré et dame Elise Réthoré) sur la base de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ces deux ouvrières, aux dires des plaignants, ont été « identifiées » à partir du numéro IP de leur ordinateur.
NATAÏS VERSUS SPIDERMAN
Le consortium Nataïs, Ehmann, Réthoré & Réthoré attaque d’abord « Spiderman » pseudonyme derrière lequel ils accusent une des deux ex-grévistes de se cacher.
Quels sont les propos de Spiderman incriminés ? Ils sont au nombre de trois [4] :
- « … Les boss ont créé un climat où tout le monde se méfie de tout. Et ceci en toute connaissance, cela leur permet de garder le pouvoir sur nous, ils ont mis à la tête des équipes les plus avides de pouvoir, pas forcément les plus intelligents ; (tout comme dans les camps en 40), de temps à autre, ils viennent prendre l’un de nous pour l’exemple »
- « … Ce que tu as connu il y a 5 ans est peu par rapport à ce que nous subissons maintenant. Je dis bien sûr …. Nous vivons une époque de terreur, dirigé par des gens qui se croient arrivés en haut de l’affiche. La guillotine a été remise en service mais n’oublions pas que les Robespierre et autres Danton y sont aussi passés !!! »
- « Spiderman a écrit : tu as mis le temps. De quoi ? pour me mordre il faudrait m’attraper ! Non sérieux, les Thénardier, ils existent alors ?, le Père Noël aussi ? Vivement que je récupère mes sous, avec mes intérêts…c’est mieux que les morpions !!!! »
Et c’est tout.
Après ce que l’on a pu entendre comme « propos » pendant la campagne électorale… ce n’est vraiment pas grand chose. Tellement peu que, pour rendre crédible leur procédure, les plaignants en ont rajouté. Ainsi, le premier propos est poursuivi sous prétexte qu’il y serait écrit d’après la « citation » officielle des plaignants « … camps de concentration de la seconde guerre mondiale » et que, Mick Ehmann étant allemand, il y aurait là un propos raciste ! Oui mais voilà, les termes « de concentration de la seconde guerre mondiale » ne sont jamais apparus dans le forum et ont été inventés par les plaignants pour les besoins de leur cause ! Et quand bien même ! On nous permettra de penser que, même s’il avait été question de « la seconde guerre mondiale », la plainte aurait été plus que tirée par les cheveux… sauf à admettre que toute évocation de la Résistance ou de la Seconde guerre mondiale devant tout individu allemand est, ipso facto, constitutive d’un délit d’injure raciale. Ça va un peu loin dans le « raisonnement », non ?
Concernant le deuxième paragraphe, il est patent qu’un salarié qui voit ses collègues se faire virer (pas moins de 10 licenciements à ce jour !!!) ou partir comme ils le peuvent (au moins 5 ou 6 autres) les uns après les autres, a de quoi se sentir légitimement terrorisé. Quant on sait le drame économique et moral que représente le fait d’être jeté à la rue, on le serait à moins !
Enfin, le dernier propos incriminé l’est parce que le couple Réthoré s’est reconnu dans le couple Thénardier. En ce qui nous concerne, nous ne voyons pas sur quelle base ils le font. Nous leur laissons la pleine et entière responsabilité de cette brillante identification. De plus, que les Réthoré se reconnaissent ou pas en Thénardier, peu importe ici : ce qui est clair, c’est que Spiderman ne croit pas plus aux Thénardier qu’au Père Noël… l’accusation tombe dans l’inanité : comment ose-t-on poursuivre quelqu’un pour avoir potentiellement (puisqu’on ne sait pas sur quelle base les plaignants s’auto-identifient) comparé qui que ce soit à des personnages dont le poursuivi dit qu’ils n’existent pas ?
NATAIS ATTAQUE ANDROIDEANDROIDE
La deuxième ouvrière, celle-ci accusée de se cacher derrière le pseudonyme « Androïdeandroïde 23 » est poursuivie pour les deux propos suivants :
- « … Ils ne nous ont jamais pris au sérieux. Nous sommes de la m…. ni plus ni moins désolé que tu puisses croire le contraire ».
- « Alors toi aussi tu grattes le pactole pas mal, les morpions, les blattes, les punaises, je les lègue aux Thénardier, à Gepetto à Charles et à toute la clique ».
Le plaignant Ehmann se serait identifié à « Charles ». On ne comprend pas plus que pour les Thénardier ni comment ni pourquoi. Nous avons pourtant beaucoup cherché pour tenter de comprendre… en vain. Heureuse nouvelle, personne ne s’est identifié à Gepetto…
Pour le premier propos, on notera que ce qui est reproché au patron c’est de n’avoir jamais pris au sérieux les salariés. De fait, quand les salariés ont réclamé l’application de la Convention collective, il leur a été répondu – par écrit – qu’il n’y en avait pas – cela malgré l’arrêt de la Cour d’appel d’Agen, confirmé en Cassation [5]. Preuve qu’il ne les prend pas au sérieux. La deuxième phrase « Nous sommes de la m… » ne lui est nullement imputée. L’opposition grammaticale « Ils » (c’est-à-dire le patron), « Nous » (c’est-à-dire nous, les salariés qui écrivons dans le forum) est grammaticalement de la plus grande limpidité. A moins que l’on puisse être poursuivi pour avoir dit du mal de soi-même…
Quant au fait de « gratter » au jeu de « morpion » en espérant toucher « le pactole », si tous les salariés qui tentent leur chance avec « La Française des Jeux » doivent être poursuivis pour diffamation (mais en quoi est-ce diffamatoire, that is the question ?), ça va faire du monde. Ajoutons que le fait de vouloir léguer le peu que l’on a (ici, dans une énumération à la Prévert faisant jeu de mots avec « morpion », les blattes et les cafards) n’est pas constitutif de quelque infraction que ce soit. Si « Charles » ou « Gepetto » veulent refuser le legs, ils ont toute liberté de le faire.
Au total, les propos poursuivis sont ceux qui se trouvent dans beaucoup de chats, forums ou qui sont tenus habituellement sur les lieux de travail. Ils n’ont aucune gravité et ne sauraient constituer quelque injure ou diffamation que ce soit et n’excèdent pas, loin s’en faut les limites légales de la liberté d’expression.
Alors, pourquoi ces poursuites ? Nous posons publiquement la question
Mais une des choses que nous constatons, c’est que, pour deux ex-smicardes actuellement au chômage, assumer les frais d’un procès devant les prud’hommes (les deux poursuivies y passeront prochainement) et y ajouter les frais devant un tribunal pénal, c’est beaucoup. C’est même énorme (puisque cela peut représenter au total deux ou trois mois d’indemnités chômage, sinon plus), alors que, pour le budget d’une entreprise comme Nataïs, c’est trois fois rien. Il y a là une inégalité économique majeure. Faut-il rappeler qu’un des premiers « Droits de l’Homme », dont l’entreprise Nataïs se dit si soucieuse, c’est l’égalité ?
Sans l’appui de tous ceux qui - et il sont nombreux dans tout le Gers où Nataïs est bien connu - apportent leur soutien, les deux poursuivies n’auraient peut-être pas eu la force de faire face et certainement pas les moyens financiers.
La liberté d’expression, la liberté de la presse (puisque c’est sur cette base juridique que ces salariées sont poursuivies), c’est pour tout le monde, pas seulement pour les puissants !
Soutenons les ouvrières de Nataïs ! Venez nombreux à leur procès.
Les amis des inculpées
[1] Voir « La grève, c’est comme le pop corn : si ça chauffe trop, ça éclate », Anarchosyndicalisme ! n°122, avril 2011
[2] Voir « Nataïs, le feuilleton ne fait que commencer », Anarchosyndicalisme ! n°127, janvier 2012.
[3] Un troisième salarié est poursuivi, il n’a pas souhaité rendre public son cas, ce que nous respectons pleinement.
[4] Nous reproduisons textuellement les passages incriminés, sans rien retrancher ni ajouter, après avoir éventuellement corrigé l’orthographe.
[5] _5.- Sur ce point, totalement ubuesque, voir notre article déjà cité (n°127). En gros, la Cour d’appel d’Agen, dans son Arrêt 232 du 16 juillet 2008 dispose « (…) la SARL Nataïs exerce l’activité de transformation, collecte, stockage et commercialisation de pop-corn (…) Le pop-corn est obtenu à partir de grains de maïs soufflés, sucrés ou salés. Il s’agit donc de céréales (…) L’activité ainsi exercée par la société entre donc dans le champ d’application ainsi défini par la convention collective (…) des biscotteries, biscuiteries, céréales prêtes à consommer ou à préparer, chocolateries, confiseries, aliments de l’enfance et de la diététique, préparations pour entremets et desserts ménagers du 1er juillet 1993, étendue par l’arrêté du 14 février 2005. ». Fort mécontente de ce jugement, l’entreprise Nataïs se pourvoit en Cassation et se fait … casser par l’arrêt 194 F-D, du 20 janvier 2010 qui rappelle : « L’application d’une convention collective doit s’apprécier par rapport à l’activité réelle de l’entreprise (…) la Cour d’appel [d’Agen] (…) a exactement déduit que la convention collective lui était applicable. ». Qu’à cela ne tienne, à ce jour, l’entreprise Nataïs n’applique toujours pas la Convention collective, prétend qu’elle n’en relève pas, d’où la grève (pour obtenir un droit en principe acquis !), d’où les licenciements, d’où les procès…