La pandémie financière se répand sur la planète, les bulles spéculatives éclatent joyeusement, les paradis fiscaux recyclent les saints profits… et les portes de l’Enfer s’ouvrent pour les damnés de la Terre.
(Dé)moralisons le capitalisme
Le capitalisme vit-il ses dernières convulsions ? Le Financial Times s’angoisse: Les gouvernements européens sont paranoïaques, ils vont maintenir le cap de l’austérité jusqu’à sa conclusion amère, quand cette politique implosera.L’exploitation du travail salarié, coeur du système, serait-elle en voie de disparition ? Pourtant, face à des luttes de grande ampleur qui ont marqué l’histoire sociale, la riposte a été jusque-là efficace: fragmentation des entreprises en petites unités, chaînes de sous-traitants, instrumentalisation des fortes disparités de coûts salariaux et écologiques selon les pays… Les « forteresses ouvrières » ont été démantelées, des secteurs entiers et combatifs liquidés (mines, sidérurgie, textile).
Dans la période récente, le chômage massif et la mondialisation maintiennent une formidable pression sur les salaires et la solidarité. Le Capital grignote régulièrement la part du Travail. Certes cela crée des menaces de surproduction (en regard des consommateurs solvables, pas des besoins de l’humanité bien sûr). Heureusement l’ange blanc du Crédit, téléguidé par les banques, plane sur les croyants en un avenir meilleur. Mais qu’arrive-t-il quand, ses ailes brûlées, les débiteurs ne peuvent plus rembourser et qu’un nouvel emprunt ne permet plus de payer les traites de l’emprunt précédent ?
L’Etat, déjà chargé de garantir à l’économie capitaliste une main-d’oeuvre soumise, va-t-il sauver le soldat capitaliste en le « moralisant » ?
Quand le bâtiment craque… tout krach
Depuis les années 1980, les procédés de spéculation financières des banques se sont multipliés:
*transformation des crédits en titres utilisables en Bourse (« titrisation ») ;
*emprunts importants conduisant à un endettement énorme (10 fois le PIB mondial en 2011) ;
*multiplication des « produits dérivés ».
A titre d’exemple: l’ »effet de levier » (rapport entre les dettes et les fonds propres) de la banque Merryl Linch était de 40 ; les dettes des étudiants américains contractées pour payer leurs études atteignaient le PIB de l’Amérique latine !
C’est dans ce contexte que des lézardes apparaissent dans le secteur de l’immobilier avec l’impossibilité pour beaucoup d’acquéreurs de rembourser leurs emprunts « subprime » (taux très bas au début, augmentant fortement par la suite).
Les logements saisis ont été mis sur le marché, entraînant une surproduction dans ce secteur, donc une baisse de leur valeur.
Les familles se sont trouvées ruinées et leurs créances insolvables… Près de cent sociétés de crédit sont en faillite. La méfiance s’installe envers les innombrables « produits toxiques » détenus par les banques et une période de récession s’installe, accentuée par les politiques d’austérité des Etats.
Un film de banksters
Le spectacle comportera-t-il, comme en 1929, des scènes rafraîchissantes de banquiers se jetant gracieusement sans parachutes (dorés) du haut des gratte-ciel ?
Prenant les devants, la Réserve fédérale des Etats-Unis (FED) a mis à disposition, à des taux variant de 0,01% à 0,25%, 16 000 milliards de dollars (équivalent de son PIB annuel !). Les banques européennes se sont, elles aussi, alimentées à cette manne pour leurs besoins de financement à court terme, mais, en juin 2011, ces « money market fonds » leur sont fermés. La Banque centrale européenne (BCE) prend le relais avec le « Long term refinancing operation »:
1000 milliards d’euros sur trois ans à des taux de 1% ou moins. Les banques vont utiliser cet afflux d’argent pour racheter des titres de la dette publique (« dette souveraine ») dans les pays où le taux dépasse 5% (Espagne, Italie, etc.), profitant d’une règle européenne interdisant aux Etats d’emprunter directement à la BCE !
Il restait aux « experts », patrons et politiques à se répandre dans les médias pour tenter de nous persuader que la « crise » était due aux dettes publiques, et nous faire accepter « le sang et les larmes » des politiques gouvernementales: austérité, privatisations, régressions sociales… Fort de ce succès, les réalisateurs ont d’autres films en préparation, sur la piste des fonds spéculatifs qui, ayant quitté l’immobilier, se sont reportés sur l’agriculture (achats massifs de terres), les gaz de schiste…
Encore autant de bulles qui éclateront bientôt. Alors, champagne ?
Le « modèle » allemand
Pour nous aider à garder la foi dans les « vertus » du capitalisme, des élèves « modèles » se sont succédé: américain, suédois, japonais, argentin… en attendant le chinois. Celui du jour est allemand.
Depuis 2003 le gouvernement socialiste de Gerhart Schroëder avait imposé une importante dégradation des droits sociaux et économiques, avec les lois Hart: chômeurs tenus d’accepter tout emploi (même à un salaire inférieur aux allocations chômage) ; « mini-jobs » à 400€ par mois ; allocations chômage plus difficiles à obtenir ; retraites par capitalisation, cotisations plus fortes, âge de départ plus élevé (67 ans en perspective)…
Les résultats sont effectivement « exemplaires »: coûts salariaux en baisse de 10%, travail à temps partiel en hausse de 46%, chômeurs non indemnisés passant de 20% à 65%, 7,3 millions de travailleurs touchant environ 400€, seulement 40% des entreprises couvertes par une convention collective…
Le « miracle économique » allemand est basé sur des entreprises qui font produire des biens intermédiaires dans des pays à faible coût, tels la Roumanie ou la Bulgarie. Ils sont ensuite assemblés en Allemagne, puis réexportés, représentant 83% des excédents commerciaux.
Le « modèle » commence à étendre ses « bienfaits » en Europe:
Grèce: Baisse du pouvoir d’achat de 50%, PIB en berne (- 20%), 58% de chômage chez les moins de 25 ans, privatisations massives, 500 000 Athéniens quittant la ville pour la campagne ou l’étranger,
Espagne: 1,7 million de familles dont TOUS les membres sont au chômage (56% pour les jeunes), 350 000 familles expulsées de leur logement,
Irlande: 180 000 jeunes ont quitté leur pays,
Portugal: Le gouvernement exhorte la population à s’exiler.
Le « modèle » anarchiste
Dans ce monde où nos vies sont conditionnées par le travail salarié, il faut aller bosser sans possibilité de décider ce qu’on va y faire, comment le faire, pourquoi le faire. Le spectre du chômage amène la résignation face à une dégradation accentuée par le patronat et l’Etat à la faveur de la « crise ». Le « choix » entre deux faces d’une même réalité: gauche/droite, Etat/marché, capitalisme productif/capitalisme financier, est destiné à nous détourner de s’occuper nous-mêmes du présent et de l’avenir. Bien sûr, des alternatives autogestionnaires se développent dans les pays les plus sinistrés: récupération d’entreprises, relocalisations de circuits agricoles et alimentaires, échanges gratuits et solidaires. [Pour la Grèce, voir le film Dédale, qui traite des pratiques de démocratie directe.] Pour espérer réellement inquiéter les dominants, il faudrait que ces initiatives se multiplient dans les domaines agricole et industriel et se coordonnent dans le cadre du fédéralisme libertaire, tels que cela fut amorcé pendant la révolution espagnole.
C’est d’ailleurs dans ce pays que l’anarcho-syndicalisme est en renouveau, le « syndicalisme d’accompagnement » sur fond de « partenaires sociaux » ayant prouvé, comme partout en Europe, qu’il livre les travailleurs au capitalisme.
A court terme, nos compagnons de la FAI (Fédération anarchiste ibérique) proposent:
*Retirons notre argent des banques ;
*Organisons des collectifs autogérés de production et de consommation ;
*Usons des outils qui sont les nôtres: la grève et le boycott ;
*Organisons-nous horizontalement, sans hiérarchie, ne touchant d’argent ni de l’Etat, ni des capitalistes.
Mon optimisme est basé sur la certitude que ce système va s’effondrer, mon pessimisme sur tout ce qu’il fait pour nous entraîner dans sa chute.
ELAN NOIR
(Article paru dans Creuse-Citron n° 36 de mai-juillet 2013, le journal de la Creuse libertaire).