A Sousse, en attendant le train pour Sfax, je lie connaissance avec un Canadien d’ origine syrienne et un Tunisien, ingénieur dans le secteur pétrolier à l’ extrême sud du pays, dans le Sahara, un lieu qu’ il atteindra par avion. Les conditions de travail sont dures. L’ hiver froid, l’ été surchauffé et le pire, le vent de sable au printemps. 15 jours sur le chantier suivis de 15 jours de congé. J’ irai dans le même hôtel que le Syrien, bien meilleur que celui que je connais ( avec les infos de France 24 en arabe ou en français, très prisées en Tunisie). Il était encore en Syrie peu de temps avant que le guerre civile ne commence. Lui aussi est persuadé que les services secrets US et occidentaux et les monarchies du Golfe ont une énorme responsabilité dans ce massacre.
Pour celles et ceux qui ne l’ ont pas vue je vous propose de visionner la vidéo éclairante (5 mn) du général US Wesley Clark sur you tube: « les 7 pays dont l’ invasion était programmée ». Sans connaître les détails j’ apprends l’ accord avec l’ Iran qui était le 7e pays sur la liste… La presse tunisienne relève que Hollande a soutenu la ligne la plus dure envers l’ Iran en le désapprouvant bien sûr Si cet homme était un peu visionnaire il ferait détruire la force de frappe nucléaire française mais ça…. A Sfax, passant devant l’ Institut français je franchis portique et contrôle pour aller consulter la presse. La bibliothécaire m’ avertit que le lendemain une écrivaine algérienne viendra présenter son livre. Wahiba Khiari vient d’ être primée pour son premier ouvrage « Nos silences » publié par les éditions tunisiennes Elyzad et bien sûr accessible en France. Plusieurs personnes fréquentant l’ Institut lisent des passages. Wahiba Khiari a vécu les années 90, années noires de la guerre civile en Algérie. Les intégristes kidnappaient alors les filles pour les « épouser » de force avec la caution de Dieu disaient-ils. Je ne vous en dis pas plus car il mérite d’ être lu et même commandé par votre bibliothèque. Cette histoire rappelle les « femmes de réconfort », femmes coréennes que les fascistes japonais réduisaient en esclaves sexuelles.
A partir de Sfax on peut accéder à l’ île de Kerkennah. Un ferry vous y emmène en 1h15 (pour 0,30 €) puis un bus vous dépose où vous voulez la grande ville étant Remla à 25 km l’ île s’ étendant sur 50 km. Palmiers, oliviers, plages, barques de pêcheurs et grand calme. Dans le bus une Japonaise. Rare une Japonaise qui voyage seule. Nous découvrons que nous sommes dans le même hôtel. Je lui dis que je viens de changer de chambre car je n’ ai pas dormi grâce à un voisin qui a regardé la télé toute la nuit même si à 1 heure du matin il a consenti à baisser le volume. Elle me dit avoir vécu une expérience similaire, elle vient de quitter sa chambre et…c’ est celle qu’ on vient de m’ attribuer! Franche rigolade! Le soir nous irons boire une bière Celtia, la locale, au bar de l’ hôtel où elle sera le seule femme bien sûr. Et par chance la nuit sera calme.
A Gafsa où je passe 2 jours, nombreux contacts spontanés. Pas vu un seul étranger. Dans un petit café populaire (donc unisexe) mon vieux voisin me parle de ses correspondant(e)s en France et me cite leurs adresses qu’ il connaît par coeur. Puis d’ un problème qui le soucie. Quand il rentre de nuit, il est agressé par des chiens. Je le comprends d’ autant mieux que j’ aurai fort à faire avec un chien hargneux sur une plage de La Goulette, le port de Tunis. Il voudrait un sifflet à ultra sons pour les repousser. Je lui promets de me renseigner et prends son adresse. Sur internet je vois que ce genre de sifflet sert au chasseur pour rameuter ses chiens. Dans ce genre de café le choix est limité à « direct » (café noir serré) « allongé » et « capucin » (dérivé de cappuccino, en fait un café au lait).
Le jour du départ, juste avant de monter dans le bus pour Sfax, un homme vient me voir parce que je porte le keffieh ce qui m’ amène à lui parler de mes voyages en Palestine. Il est directeur d’ école et m’ offre une grande bouteille d’ eau pour le voyage.
Je ne savais pas que le bus passerait par Sidi Bouzid. Quand je vois les nombreux slogans couvrant les murs, en français et en arabe et la charrette en pierre érigée à la mémoire du jeune qui s’ est immolé par le feu je regrette de n’ avoir pas ,prévu un stop.
A Sfax un autocollant sur la valise d’ un vendeur de rue m’ interpelle. alors que l’ on voit des graffiti libertaires partout, ce vendeur de cigarettes est le 1er que je rencontre. Ici, les libertaires n’ ont pas de site internet contrairement aux Egyptiens mais le contact est établi avec un anglophone de Sfax. Le sigle A.C.A.B est aussi sur tous les murs comme en Egypte. A Sousse je l’ explique à 2 militantes féministes ( All Cops Are Bastards)
26 novembre. Tunis Bizerte en train. Encore des rencontres spontanées. A la cafeteria de la gare de Tunis mon voisin de table me surprend par sa lucidité. Il lit « Le Temps » journal francophone qui annonce enfin un accord après des mois de tergiversations entre Ennhadha et l’ opposition incluant le syndicat UGTT. Je lui demande ce qu’ il en pense. « Balivernes » me répond-t-il. Il se moque de la survivance de l’ obscurantisme à notre époque.
Un groupe d’ étudiantes croisées dans la rue à Bizerte. Nous échangeons un « bonjour », puis elles se ravisent et me rattrapent.Elles veulent un interview pour leur travail universitaire: le bilan de la Révolution est-il positif ou négatif?
Caméra. Je les quitte en leur disant que les femmes sont l’ avenir de la société tunisienne. Elles reviennent: « Vous pouvez nous répéter la dernière phrase? » Elles ne l’ avaient pas enregistrée. Elles avaient envie d’ entendre ça.Puis elles s’ envolent comme des moineaux.
Par contre le lendemain je verrai que des oiseaux de mauvais augure sont passés par la Médina en laissant des affiches inquiétantes sur le rempart extérieur, en particulier une femme vêtue d’ un niqab et j’ aurai confirmation que c’ est leur souhait pour toutes les femmes ! Quant à la culture, ça leur donne des boutons…ils ont encore menacé un cinéaste qui leur déplait.
Pour répondre à ces ignares d’ un autre âge ( mais dangereux, on sait de quoi ils sont capables ) une femme, Joumana HADDAD, vient de publier chez Sindbad-Actes Sud un essai : » Superman est arabe ». Elle dénonce le système patriarcal qui sévit dans le monde arabe ( pas que, bien sûr) et se moque de la mode des hymens en plastique…Je n’ ai pas eu l’ occasion de le lire. Retour rapide sur » Moha le fou, Moha le sage » de Ben Jelloun : un petit livre génial où le fou, comme souvent au Maghreb, est celui qui dit les choses les plus intelligentes et fait la thérapie de sa société pour celles et ceux qui savent l’ écouter. Je verrai aussi par hasard un film maghrébin, « La source des femmes » qui dénonce aussi machisme et sexisme…les femmes vont chercher l’ eau à la source en passant devant le café où les hommes prennent le thé…jusqu’à ce qu’ une jeune rebelle appuyée par une vieille déclenchent une grève du sexe !
En fait je suis revenu pensant que la transition tant attendue allait se faire. Elle était prévue pour le 15 novembre avec la nomination d’ un Ier Ministre intérimaire puis une nouvelle Constitution puis des élections. Le gouvernement islamiste procède par petites touches pour consolider son pouvoir ce qui engendre pas mal de crispations. Comme en Egypte et en Turquie il essaie de contrôler la justice par des nominations arbitraires ce qui vient d’ entrainer une grève dans la magistrature. Les grèves sont d’ ailleurs nombreuses dans tous les domaines. Un peu comme en France, beaucoup de gens sont désabusés par les promesses non tenues, les mensonges quotidiens…Il est reproché à Ennahdha la mainmise sur les mosquées, les municipalités et les institutions de l’ Etat, la prolifération d’ écoles coraniques, ses ligues de protection de la révolution ( quel culot!) le recrutement massif dans le police, la solidarité avec les mouvements islamistes en Lybie, en Egypte et en Syrie. L’ inflation est arrivée: en janvier 1€=2 dinars, en novembre 1€=2,25 dinars. Je peux vous confirmer que si vous passez un mois en Tunisie, vous ne dépenserez pas plus que si vous restez en France. Quelques prix: train pour un parcours de 200 km, 5 €. Un plat, une bière et un cinéma: 4 €. L’ hôtel entre 7 et 12 €.
Je revois un directeur de théâtre assez pessimiste. Son analyse: Ennahdha gagne du temps et en profite pour placer ses hommes. La seule vraie force d’ opposition actuelle est le syndicat UGTT. Les cartes qu’ il peut jouer: la désobéissance civile et la grève générale…
Ce qui m’ étonne toujours-et là il ne s’agit plus de la Tunisie mais du monde entier- c’est que les règles du jeu (démocratique?) n’ ont jamais cerné ce problème: ni les religieux ni les militaires ne doivent s’ occuper de la sphère publique. Nous avons bien suffisamment de problèmes à résoudre sans eux !
Ghislain
Tunis 29 novembre 2013
le retour c’ est pour demain et des amis d’ Auvergne proches du Puy Marais m’ annoncent 85 cm de neige, et me proposent…de rester !
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