
Nous y voilà. Le 31 Mars approche. Le mouvement continue de commencer. Les organisations de gauche nous ont imposé cette date, avant le début du début, comme première journée de grève générale. Parce qu’avant cette date officielle, on pouvait toujours faire plier le gouvernement avec des pétitions. Eh oui, ça n’a jamais fonctionné mais qui sait ? Eh bien non, comme on pouvait s’en douter, ça n’a pas fonctionné.
Alors, un peu partout, on a pris les devants. Et puis devant le constat que le mouvement leur était volé, les organisations de gauche ont repris les rênes, et comme à leur dégueulasse habitude, elles ont organisé les cortèges. « L’UNEF devant, ensuite le cortège de la CGT, etc. » Et puis les autres, les révolté-e-s sans drapeau (ou à drapeau noir…) iront où ielles veulent, où ielles peuvent, mais surtout pas devant, ça les organisations de gauche ne le permettent pas. Le mouvement est politique (au sens puant du terme), syndicaliste, mais certainement pas révolté et inorganisé.
Et puis un collectif a vu le jour. #OnVautMieuxQueCa. L’utilisation du croisillon (hashtag quand on est branché) donne tout de suite le ton. Ça sent la jeunesse, la fraîcheur de la génération Y. Ça sent aussi et surtout le rance de la récupération citoyenniste à la sauce classe moyenne blanche [sic] de centre-ville. Alors des collectifs se montent dans les grandes villes. A Grenoble on se rassemble dans ce bar associatif branché. On parle. Du projet de réforme. On se dit qu’il faut aller plus loin. Revendiquer plus. Revendiquer ? Eh oui, le/la citoyen-ne revendique. Ielle passe sa vie à demander. Ielle demande que nos chers maîtres oublient ce projet de réforme. Ielle demande qu’on enlève l’état d’urgence (Eh, vous étiez où, bande de citoyen-ne-s quand il a fallu lutter contre ?). Ielle demande à ouvrir les frontières (Mais trouve impensable l’idée de les détruire). Ielle demande à produire de la merde et être exploité-e 32 heures par semaine seulement, au lieu de 35. Ielle demande le salaire de base universel, comme si ça pouvait régler quoi que ce soit.
Alors le collectif, à Grenoble, il a des tas d’idées d’actions. Il aime ça, faire des actions, les penser, les diriger, mais en s’efforçant toujours d’employer les mots qui sont appréciés par les anti-autoritaires : « auto-organisation », « démocratie », « assemblées » etc. Les actions, il les aime non-violentes, symboliques, parce que les symboles ne détruisent rien, parce qu’ils ne remettent rien en cause, parce qu’ils permettent de ne pas se mettre en jeu.
Alors le collectif, à Grenoble, quand il s’est aperçu que le 17 Mars il avait fâché la CGT en se séparant du cortège syndical officiel pour aller chatouiller le PS sans prévenir, il s’est empressé de s’excuser et a promis à la CGT qu’on ne l’y reprendrait plus.
Le collectif, à Grenoble, il a aussi décidé de répondre à l’appel national à organiser des « Nuits debout ». Alors, qu’est-ce qu’une « Nuit de boue » ? C’est très simple. François Ruffin, qui avait besoin de faire la pub de son film, « Merci patron ! », mais ne voulait pas payer pour, s’est dit que ça serait une excellente idée d’appeler les collectifs, dans les grandes villes, à occuper une place, et à diffuser sa saloperie sur un écran géant. Eh oui, il faut conscientiser les masses ! Et quoi de mieux qu’un film au chauvinisme exacerbé pour « conscientiser les masses » ? Beh oui, il faut de l’emploi à l’intérieur de nos barbelés – euh pardon, frontières – et pas délocaliser les usines ! Bon, pour la critique radicale du capitalisme, on repassera, de toute façon le journal de Ruffin, Fakir, il soutient à fond la CGT et son productivisme dégueulasse et aux dernières élections présidentielles, il participait à la campagne de Mélenchon, lui aussi productiviste acharné, et qui aime vraiment beaucoup la fRance. Et comme le collectif de Grenoble est composé (entre autres) des restes putrides de tous les groupes néo-indignés du type colibris, fans de Chouard et autres Alternatiba (mais attention, hein, c’est un collectif indépendant et sans étiquette !), en plus de ce super film, on aura même le droit de participer à des « ateliers constituants », histoire de bien goûter à la « vraie démocratie » citoyenne.
Il va sans dire que pour occuper sa place (qui est en fait un aménagement sportif qui se trouve en périphérie du centre-ville), le collectif de Grenoble a, comme tout citoyen qui se respecte, demandé l’autorisation. Et on la lui a donnée ! Ouf ! Ça va être tellement subversif !
A côté de ces mascarades syndicalistes et citoyennes, il y a des individus qui veulent foutre en l’air le vieux monde. Cramer les usines plutôt que les autogérer, faire payer à ceux qui nous ont exploité pendant tout ce temps le prix de leurs actes dégueulasses. Des individus qui veulent la liberté, et non un morceau de celle-ci (pensée « émue » à ceux qui appelaient il y a quelques mois à défendre la liberté d’expression). Des individus qui ne veulent « pas troquer une part de maintenant pour une part fictive de demain » (Albert Libertad, Aux résignés, 1905). Des individus qui ne veulent ni du Travail, ni de la Loi. Des individus qui ont compris que récupérer nos vies qui nous ont été volées doit forcément passer par la joie de la violence contre ceux qui en sont les responsables, par le feu, partout là où il trouvera des outils de notre exploitation à réduire en cendre.
Et ces collectifs citoyennistes, et ces syndicalistes productivistes, sont une insulte à la révolte incontrôlable, une insulte à l’intelligence aussi.
Parce qu’aujourd’hui, la seule action intelligente qui soit consiste à détruire concrètement, en actes, ce qui nous détruit.
[Repris d’Indy Grenoble.]
Voir aussi la brève « La nuit debout », ou comment dire merci à son patron.
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