Lettre de solidarité avec « La Discordia »
Belle époque ! La bibliothèque anarchiste « La Discordia » taguée, assimilée par voie de communiqué laissé sur place et signé « Des anarchistes » à quelque officine fasciste, raciste, arabophobe…
La raison de cette haine ? « La Discordia » a proposé d’approfondir, à partir de l’analyse du concept caviardé d’islamophobie, ce qu’il cache en matière d’acceptation des « valeurs » de l’Islam. Lesquelles sont présentées aujourd’hui, parfois même dans des cercles anarchistes, comme porteuses d’émancipation, ou du moins comme conceptions religieuses à placer hors du champ de la critique dans la mesure où elles sont portées par des « pauvres » ; ici, les laissés-pour-compte de l’actuel développement du capitalisme, principalement d’origine maghrébine et africaine, entassés dans les banlieues dortoirs délabrées, soumises à des persécutions étatistes et stigmatisées comme bases avancées métropolitaines du terrorisme islamiste planétaire.
L’appel de « La Discordia » à la discussion, ainsi que tous les textes qui l’accompagnent placés sur le site ne présentaient pourtant pas la moindre ambiguïté. Pas plus que l’ensemble des thèmes proposés et des textes associés abordés depuis l’ouverture de la bibliothèque, il y a quelques mois. Je ne vais pas en faire l’inventaire ici, mais il révèle à l’évidence le soucis d’aborder de la façon la plus approfondie, la plus argumentée et la plus générale possible la critique de la domination actuelle, en France et ailleurs, sans démagogie. Sans prétendre en avoir le monopole, mais en partant aussi à la recherche d’affinités avec d’autres individus issus d’autres horizons. Ce qui exclut l’approche académique et consensuelle, comme c’est la coutume la plus répandue aujourd’hui dans bien des bibliothèques à prétention radicale. Mais, au contraire, en gardant en tête que le but des discussions et des rencontres est d’être mieux armés pour participer à la transformation subversive du monde de la domination. Ce qui inclut aussi la critique des religions, en particulier des religions monothéistes comme l’Islam.
Dans la vague d’amalgames, de stigmatisations, de calomnies, de menaces, etc. qui va crescendo depuis les attentats islamiques de l’année dernière et qui est dirigée contre les révolutionnaires osant s’en prendre aussi à l’Islam, y compris contre les initiateurs de « La Discordia », il n’y a pas la moindre critique digne de ce nom. C’est de la peste émotionnelle à l’état pur, basée sur la peur de la liberté, qui ne se distingue de celle manipulée et généralisée aujourd’hui par l’Etat hexagonal que par l’objet de ses haines particulières. Elle relève du même esprit de chasse aux sorcières. Du même esprit d’état de siège intériorisé par les individus, même parfois par ceux qui croient combattre l’Etat laïque et républicain en prenant la défense de ses « victimes » présumées et de celles des « ennemis » désignés à la vindicte populaire et assimilés en bloc à des musulmans.
L’actuelle vague de peste émotionnelle, sous couverture « révolutionnaire », est aussi révélatrice de la faillite de pas mal d’individus, de groupes, etc., qui participent aux milieux du même nom. Incapables, jusqu’à preuve du contraire, de donner sens à leur propre activité, quitte à se retrouver en minorité, acceptant le système identitaire de chefferie militante dans lequel ils baignent, ils sont terrorisés à l’idée de prendre position par eux-mêmes et pour eux-mêmes. D’où leur recherche éperdue de reconnaissance sociale et politique. En d’autres termes leur recherche de pouvoir qui, sous prétexte de ne pas choquer les troupes potentielles qu’ils espèrent rassembler, ici les jeunes islamisés, les conduit aux pires compromis avec des lobbys islamistes, qui affichent sans complexe leur sexisme, leur homophobie, leur racisme, etc.. Et qui acceptent d’être soutenus, au nom de la « lutte contre l’impérialisme et le sionisme » par des crapules conspirationnistes comme Serge Thion, de sinistre mémoire négationniste, maître en révision de l’histoire, des camps d’extermination des Nazis à ceux des Khmers rouges, en passant par le refus de reconnaître l’implication directe d’Al-Qaïda dans l’affaire du 11-Septembre !
Voilà les raisons pour lesquelles la vague de merde qui touche aussi « La Discordia » me débecte. Par les objectifs qu’elle vise et par les procédés qu’elle utilise, elle me rappelle les opérations que le PCF lançait contre nous dès Mai 68, nous qui avions oser lui tenir tête, le traiter pour ce qu’il était, le parti de la contre-révolution aux origines prétendument révolutionnaires, nous qui, par nos activités multiples, dans les usines et ailleurs, portions des coups à son monopole déjà vacillant.
Les lecteurs comprendront donc pourquoi je défend « La Discordia ». Pas au nom de la liberté de parole ou par esprit de chapelle : je n’ai pas participé à sa création et je n’en fais pas partie actuellement. Mais parce que je partage l’esprit de la démarche de ceux et de celles qui l’ont créée et qui lui permettent de perdurer, malgré les difficultés rencontrées et les pressions de tous les ordres, qui ne se limitent pas, comme trop souvent, à celles de l’Etat. Je continuerai donc de plus belle à y proposer des activités, toujours à la recherche d’affinités effectives et de leur mise en œuvre. A bon entendeur, salut !
André Dréan , le 2 février 2016.
[Repris du blog de La Discordia.]
Communiqué de soutien à la bibliothèque La Discordia
La veille de la discussion « Islamophobie, du racket conceptuel au racket politique », les murs jouxtant la bibliothèque anarchiste La Discordia ont été recouverts des tags « racistes » et « fafs ».
En nous efforçant de trouver une signification à ce geste commis par de prétendus anarchistes (comme ils se le réclament dans la lettre de revendication qu’ils ont laissé), au-delà de l’absurdité qu’il devrait inspirer à toute personne dotée de bon sens et de bonne foi, nous ne voyons que l’intention de vider l’anarchisme de son contenu antireligieux. Dans ces temps de grande confusion, comme nous le rappelle tout récemment le fait que des organisations anarchistes ont signé des appels à manifester avec des associations religieuses, des partis politiques, des organisations syndicales et même des syndicats de flics, de magistrats et d’agents de réinsertion, nous reconnaissons le mérite aux compagnons de La Discordia d’ouvrir/d’approfondir de force un débat que beaucoup tentent d’annihiler, et par conséquent, d’avoir pris des positions claires contre la défense de l’islam par une partie de l’extrême gauche, des cercles universitaires et du « milieu » autonome.
La révolte contre les dogmes religieux a toujours fait partie de la critique révolutionnaire, ici en Europe comme dans le reste du monde, où un grand nombre d’athées, de blasphémateurs, de « libres penseurs », de révolutionnaires ou simplement de personnes non conformes à la morale religieuse, se trouvent à affronter une féroce répression de la part des portes-paroles divins.
Nous tenons à exprimer publiquement notre soutien aux compagnons et compagnonnes de La Discordia face à ce geste qui n’est qu’une imbécile et grossière manifestation de l’actuelle « convergence » entre politiciens d’extrême gauche et réactionnaires islamistes, unis par leur rôle commun de récupérateurs de la révolte et leur désir partagé d’accroître leur contrôle et leur pouvoir sur les sujets qu’ils revendiquent. L’idée anarchiste de la liberté n’a rien à voir avec cette convergence d’intérêts entre groupes autoritaires, il est navrant d’avoir à le rappeler, mais visiblement nécessaire au vu de cette « attaque » et de la revendication qui l’accompagne.
Temples, livres sacrés et porte-paroles divins seront toujours d’un seul côté de la barricade, et nous resterons positionnés de l’autre.
Les rédacteurs du journal de rue Paris Sous Tension,
Paris, le 2 février 2016.
[Repris d’Indy Nantes.]